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Définition de l’incontinence anale
L’incontinence anale
désigne l’émission incontrôlée de matières fécales solides, liquides ou
gazeuses, de façon transitoire ou durable. Elle peut se présenter comme
une impériosité fécale, une urgence à déféquer, ou une fuite
inconsciente de selles à des degrés divers : minimes ou majeurs.
On parle aussi d’incontinence fécale pour désigner la perte involontaire de selles,
comme on parle d’incontinence urinaire à laquelle elle est fréquemment
liée ; cela ne préjuge pas du mécanisme en cause. Les causes
d’incontinence fécale sont variées, pas toujours dues à une défaillance
de l’anus (sphincter musculaire).
Quels sont les risques et les enjeux sanitaires de l’incontinence anale ?
Trouble tabou, l’incontinence anale
ne s’avouerait qu’une fois sur deux au médecin. Le préjudice persiste
donc, faute de prise en charge adéquate. Cette invalidité sociale et
professionnelle reste très sous-estimée. Selon Damon et coll. (2006)
7,5% des femmes en souffriraient en France contre 2,4% des hommes. La
proportion d’incontinences anales
sévères (survenant au moins une fois par semaine) atteindrait 1,5 à 2%
de la population (Perry et coll. 2002), touchant autant les hommes que
les femmes.
Les plus touchés sont les personnes âgées de
80 ans et plus, avec une prévalence de plus de 20% (Damon et coll. 2006)
contre 5% avant cet âge. En maison de retraite médicalisée, les
chiffres américains estiment sa prévalence à 50% (Nelson, 2004), mais
il faut les tempérer par le fait que l’incontinence anale représente en
soi la deuxième cause de placement en institution du fait du handicap
social et familial.
Sont ensuite concernées les femmes
ayant eu au moins un accouchement par voie naturelle, surtout si ces
accouchements ont été traumatiques (forceps). Le premier accouchement
est significatif : à sa suite, 10% développent une incontinence anale
et 20% ont une rupture sphinctérienne en échographie (Abramowitz,
2006). L’accouchement par césarienne n’annule pas le risque, d’après
Solans-Domenech (2010) 10% des femmes enceintes en souffriraient lors de
leur première grossesse. L’absence de grossesse elle-même ne garantit
pas « l’immunité » des femmes nullipares (Damon, observatoire ORALIA,
2010). Dans 33% des cas, l’incontinence urinaire d’effort précède de
quelques années l’incontinence anale qui survient entre 40 et 60 ans.
L’émission
involontaire de matières solides ou liquides et de gaz malodorants est
très handicapante socialement. L’incontinence des selles
contraint au port de garnitures, elle favorise macérations et
irritations du siège, réduit les déplacements, impose une révision
drastique des habitudes nutritionnelles, pas toujours opportunes
diététiquement.
Quels sont les causes de l’incontinence anale ?
La continence anale est une fonction complexe, assurée lorsque le transit intestinal est normal et que l’anneau musculaire de l’anus (sphincter anal) est en bon état. Il faut aussi que le rectum puisse faire son travail de stockage des selles par sa distension normale et que les nerfs et la commande nerveuse de la défécation soient efficients. L’incontinence fécale survient lors de la détérioration, transitoire ou chronique, d’un ou plusieurs de ces éléments.
Les troubles du transit durables (constipation et/ou diarrhée)
Ils
sont plus fréquents au grand âge. Ils entraînent des modifications des
réflexes neuro-musculaires digestifs et de la défécation. Chez la
personne âgée, la présence d’un fécalome est la première cause de pertes
de selles incontrôlées, qui se présentent comme une diarrhée. Le fécalome est un bouchon de selles
déshydratées bloquant le rectum. Il survient même chez des personnes
qui ne sont pas habituellement constipées. Certains traitements
médicamenteux le favorisent. Tout fécalome doit être évacué par le
médecin. C’est une urgence dont on prévient la récidive par des mesures
nutritionnelles appropriées et des médicaments (lavements, accélérateurs
du transit).
Les traumatismes du périnée (plancher du petit bassin)
Ils
sont, chez la femme, liée essentiellement à la grossesse et à
l’accouchement par la voie naturelle, surtout s’il a été difficile ou a
nécessité des manœuvres d’extraction du bébé. Une incontinence fécale
durant la grossesse est un facteur de risque d’incontinence anale avérée
après l’accouchement et d’autant plus que les grossesses se répètent
(Sénejoux, 2011). L’incontinence est par ailleurs fréquente en
post-partum (après l’accouchement) et ne doit jamais être négligée. Un
bilan périnéal complet s’impose au moindre doute et quand les signes perdurent au-delà de 6 mois.
Les troubles neurologiques
Ils sont une cause de plus en plus fréquentes, avec la progression des maladies qui altèrent lentement les neurones : diabète, sclérose
en plaques. Les traumatismes de la moelle épinière (accident de la
route, professionnel) provoquent des lésions neurologiques brutales :
paraplégie…
Comment se manifeste l’incontinence anale?
L’incontinence anale peut se voir à tous les degrés ; sa sévérité n’a pas de lien direct avec sa tolérance : une incontinence anale
limitée aux gaz peut être plus mal vécue qu’une incontinence anale plus
sévère. Elle est dite sévère lorsqu’il existe une fuite involontaire de
selles au moins une fois par semaine.
Elle a plusieurs modes d’installation qui peuvent se combiner :
– par regorgement : lorsque le rectum est toujours plein et ne peut plus assurer la rétention des matières. Cela survient dans un contexte de constipation
ancienne et de difficultés d’évacuation rectale (dyschésie). Les
médicaments constipants (neuroleptiques, morphiniques), un fécalome
provoquent ce type d’incontinence par regorgement ; ainsi que la diminution de la sensibilité rectale en cas de mégarectum, de diabète, de sclérodermie ou de lésion médullaire…
–
par diminution de la capacité rectale : cela se voit lors des maladies
digestives comme la rectocolite hémorragique, après la chirurgie
colorectale (cure d’hémorroïdes) ou après une radiothérapie pelvienne
(cancer de prostate par exemple). Des habitudes digestives avec des selles
fréquentes et de petit volume, des besoins rapidement urgents alors que
l’anus n’est pas sous pression, finissent par désapprendre une
distension normale du rectum, qui devient intolérant à la réplétion
alors que tout est normal par ailleurs. Un contexte psychologique
particulier n’est pas exclu.
– par fuites passives
inconscientes : chez des patients aux antécédents chirurgicaux locaux
(fissure anale), ou bien dans des maladies générales comme la
sclérodermie et le diabète qui lèsent la commande nerveuse autonome du sphincter interne (involontaire).
–
par impériosité active, où les besoins sont urgents avec une retenue
très courte. La maîtrise anale est faible ou absente. Une incontinence
urinaire est fréquemment associée. Les causes en sont « classiques » :
lésions dues à la grossesse et/ou l’accouchement, chirurgie
proctologique (périnéale), lésions musculaires et nerveuses traumatiques
(syndrome de la queue de cheval).
Avec une diarrhée vraie, aiguë ou chronique. D’autant plus que le patient masque l’incontinence en évoquant de simples diarrhées, et minimise les symptômes dont il a honte.
Le maître mot reste donc l’exactitude des renseignements fournis par le patient, au-delà de la honte et de la confusion.
Peut-on prévenir l’incontinence anale ?
On peut lutter contre la constipation
par la modification des habitudes nutritionnelles (introduction de
fibres et hydratation accrue), parfois avec un traitement accélérateur
de transit prescrit par le médecin généraliste, le gastro-entérologue.
Une
grande prévention est d’éviter les traumatismes du périnée, qu’ils
soient obstétricaux (forceps), sportifs, ou sexuels. « Il est parfois
légitime de discuter l’indication d’un accouchement par césarienne en
vue de préserver l’anus » déclare le Dr Laurent Abramowitz, proctologue
spécialiste de l’incontinence anale.
Avec
l’avance en âge, il faut éviter les augmentations brutales de pression
dans le ventre : vomissements, toux, efforts de portée… et songer à la
rééducation périnéale précoce.
Dès que l’incontinence apparaît hors d’une situation explicable et transitoire telle que, par exemple, une diarrhée brutale et profuse du touriste.
Comment préparer la consultation ?
Le calendrier des selles répertorie quotidiennement le nombre de selles et les épisodes d’incontinence
avec les circonstances les accompagnant : l’incontinence d’urine au
premier chef. Il permet au médecin d’apprécier la sévérité de la
situation.
On rassemble les antécédents obstétricaux (grossesses et accouchements difficiles) et chirurgicaux (comptes-rendus d’opération).
Il apprécie la nature de l’incontinence et son étendue (anale et urinaire par exemple) avec un examen physique complet comportant un toucher rectal, et vaginal chez les femmes.
Il
recherche une maladie causale, des habitudes néfastes : alimentation
constipante, sédentarité favorisant le fécalome, médicaments favorisant
la constipation.
Il apprécie aussi le retentissement sur la qualité de vie, afin de mesurer le handicap.
L’expert gastro-entérologue, proctologue, est aussi amené à donner son avis. Il fait des tests
de pression pour évaluer les déséquilibres locaux (manométrie et
électrophysiologie). Il complète le bilan par une échographie
(généralement endo-rectale). L’IRM dimensionnelle ne fait pas encore
concurrence à la défécographie de référence, examen qui n’est pratiqué
qu’en perspective d’une intervention chirurgicale.
La prise en charge de l’incontinence anale repose sur l’hygiène digestive (régime anti-constipation ou au contraire ralentisseur des selles)
et la rééducation périnéale lorsque le problème est fonctionnel. Les
tampons anaux sont palliatifs et remboursés ; ils permettent de ne plus
craindre une fuite intempestive.
Les causes curables d’incontinence
sont prises en charge par le chirurgien lorsque le risque est bien
maîtrisé : réfection du périnée, par exemple, après un accouchement
délabrant avec la cure éventuelle d’une descente d’organes (prolapsus).
La
stimulation électrique des nerfs de l’anus (neuromodulation, ou
stimulation transcutanée) est réservée aux incontinences sévères chez
des patients testés comme bons répondeurs.
Les sphincters anaux artificiels sont encore grevés d’un fort taux d’échecs imposant leur retrait à terme (un sur deux, Wong, 2002).
En
dernier recours, un anus artificiel (stomie = ouverture à la peau, ici
une colostomie) concerne les malades très handicapés, fortement motivés,
car sa maintenance est astreignante. Mais, bien gérée, la stomie se
révèle souvent plus confortable socio-professionnellement que les fuites
intempestives.